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Forfait jours invalide : pas de préjudice automatique pour le salarié

Dans deux décisions rendues le 11 mars 2025, la Cour de cassation s’est penchée sur une question centrale : une convention de forfait jours jugée irrégulière ouvre-t-elle automatiquement droit à une indemnisation pour le salarié concerné ? La réponse est non. La Haute juridiction rappelle que l’irrégularité d’un forfait jours ne suffit pas à elle seule à justifier une réparation : un préjudice distinct doit être prouvé.


Le cadre strict du forfait jours


Le recours au forfait jours, qui permet de déroger au décompte horaire classique, est encadré par des règles rigoureuses. Il repose sur un accord collectif valide, une convention individuelle formalisée, et des garanties effectives visant à prévenir les dérives en matière de charge de travail. Ces mesures visent à préserver la santé, la sécurité et l’équilibre vie pro/vie perso du salarié.


Lorsque ces garanties font défaut, la convention peut être annulée ou privée d’effet. Dans ce cas, le salarié peut revenir à une durée légale de 35 heures par semaine et demander le paiement d’heures supplémentaires effectuées durant la période concernée.


Heures supplémentaires oui, indemnisation non automatique


Mais qu’en est-il d’une éventuelle indemnisation en plus du rappel de salaire ? C’est précisément l’objet des deux affaires examinées en mars 2025. Dans les deux cas, des salariés licenciés contestaient la validité de leur convention de forfait jours. Ils réclamaient non seulement un rappel de salaire, mais aussi des dommages-intérêts, estimant que le non-respect des règles sur le forfait jours portait atteinte à leurs droits fondamentaux, notamment en matière de santé, de repos et de vie personnelle.


Ils s’appuyaient notamment sur la directive européenne 2003/88/CE, qui impose des limites claires à la durée du travail pour garantir la santé et la sécurité des travailleurs.


Pas de préjudice “nécessaire”, selon la Cour de cassation


La Cour de cassation ne leur a pas donné raison. Pour elle, le seul fait que la convention soit nulle ou inopérante ne suffit pas à générer un préjudice “automatique” ou “nécessaire”. Elle confirme les jugements des cours d’appel, qui avaient reconnu aux salariés des rappels d’heures supplémentaires, mais rejeté leur demande d’indemnisation complémentaire faute de preuve d’un préjudice distinct.


Autrement dit, si un salarié souhaite obtenir réparation, il doit démontrer concrètement en quoi la situation l’a lésé, au-delà de la simple invalidité de la convention. Par exemple, un impact avéré sur sa santé, une atteinte à son droit au repos, ou une charge de travail excessive non compensée.


Un usage mesuré de la notion de préjudice automatique


La notion de préjudice automatique – ou “nécessaire” – n’est pas nouvelle. Elle est admise par la jurisprudence dans certaines situations bien précises : licenciement injustifié, absence de représentants du personnel, non-respect du congé maternité, dépassement de la durée maximale de travail, etc. Mais la Cour refuse ici de l’étendre au cas du forfait jours irrégulier.


Ce choix s’inscrit dans une logique constante depuis 2016 : les juges du fond conservent un pouvoir souverain pour apprécier l’existence d’un dommage, sauf exceptions clairement identifiées. En clair, la faute de l’employeur ne suffit pas à elle seule ; il faut prouver les conséquences concrètes pour le salarié.


Ce qu’il faut retenir


Les forfaits jours restent un outil utile pour organiser le temps de travail, mais leur mise en œuvre exige rigueur et conformité. En cas d’irrégularité, le salarié peut bien sûr demander le paiement des heures effectuées au-delà de la durée légale. Mais pour obtenir une indemnisation complémentaire, il devra prouver un préjudice réel et personnel.


Ces arrêts rappellent ainsi que le droit du travail repose sur un équilibre subtil entre protection des salariés et pouvoir d’appréciation des juges. Un équilibre que la Cour de cassation entend bien préserver.


Références :  


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